Comme chaque année.
Il fait encore nuit quand
tu arrives. Des voitures sont garées un peu partout sur le bas côté de la
petite route de campagne. Les yeux encore embués de sommeil, tu te débarrasses
de ton quotidien : portable, sac à main, portefeuille. Tu jettes tout dans
ton coffre. Aujourd'hui, ça sera une journée off. Les mains dans les poches de
ton jean usé et une veste tachée de peinture sur les épaules, tu arrives
timidement au milieu de la cour et observes doucement le monde qui s'agite.
D’un geste bref, tu salues la troupe.
La lumière au fond de la
cour trace le chemin à suivre pour ceux qui n’ont encore pas pris leur
petit-déjeuner. La voix du patron résonne déjà entre les cuves et le
moteur du tracteur ronronne au loin. Certains sont déjà assis dehors à
attendre le début de la journée. D'autres viennent de se réveiller et semblent
déjà exténuer. D'autres encore courent après une veste, une casquette, un
paquet de cigarette ou un dernier café serré. Personne n’ose encore se parler,
personne n’ose vraiment se regarder. Pourtant, aux premières lueurs du jour,
une certaine excitation se devine dans cette petite cour. Une certaine frénésie
émane déjà dans l'atmosphère.
Comme chaque année, il y
a les habitués : ceux qui roulent leur bosse de saison en saison, ceux qui
ont de la bouteille comme on dit. Ils roulent leur clope les yeux fermés,
parlent fort et ont des millions d'anecdote à raconter. Et puis il y a les
petits nouveaux, ceux qui viennent se casser le dos pour la première fois.
Histoire de se faire quelques sous. Ils ont souvent le regard peureux et hagard
plein d'appréhension alors que le soir venu, ils repartiront les mains sales
mais le cœur fier et souriant. Comme chaque année, tu pensais avoir le temps de
boire un café sur place en arrivant. Comme chaque année, c'est loupé. A peine
arrivé que tu es déjà en retard, le temps de trouver un imperméable trois fois
trop grand qui sent l'humidité, une serpette rouillée et un sceau que te voilà
déjà collé-serré à tes nouveaux compagnons à l'arrière d'un camion benne, bercé
par l’odeur de renfermé et de vin rouge. Pas le temps de te réveiller en douceur
que tu as déjà des hauts le cœur, la tête dans le cep et les pieds dans la
rosée. Tu le sais, tu t’apprêtes à passer le reste de cette journée le dos
voûté, les doigts collants, les cheveux luisants et les cuisses qui brûlent. Sans
compter les égratignures qui viendront tatouer pour toujours tes mains et tes
mollets. Pour commencer une dure journée, rien de plus sûr. Pour commencer une
belle journée, rien de plus dur.
Et pourtant, comme chaque
année, ces matins signent déjà le début d'une belle journée. Alors que pour
certains, septembre rime avec cartable et cour de récré, pour d'autres, il rime
avec sécateur et casse-croûte de 10 heures. Et surtout, bonne humeur. La tête
dans le cep peut-être mais l'esprit libre et le regard toujours aussi
émerveillé devant le soleil qui se lève sur ces nouvelles vendanges. Rang après
rang, te voilà emporté par l’élan collectif. Heure après heure, sans même t’en
rendre compte, tu es transporté par l’ambiance si spéciale qui règne au pied
des vignes. Chaque grappe coupée, chaque anecdote partagée, chaque chanson
fredonnée te rappelle pourquoi tu es là. Comme chaque année quand
la journée se termine, tout le monde a le cheveux collé, les doigts violet, les
pieds trempés, les traits tirés et le corps éreinté. Mais comme chaque année,
au dernier coup de serpette, un large sourire se dessine entre les rangs. Tout
le monde rentre au bercail rincer son sceau et laver ses maux de dos autour de
quelques verres. Non loin du quotidien de chacun et pourtant si dépaysantes,
ces journées de vendanges ne laissent personne indifférent.
Comme chaque année, tu finiras la journée sur les rotules. Exténué, cassé, courbaturé et peut-être bien bourré mais comme chaque année, tu es déjà prêt à recommencer.
Comme chaque année, tu finiras la journée sur les rotules. Exténué, cassé, courbaturé et peut-être bien bourré mais comme chaque année, tu es déjà prêt à recommencer.
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