Aujourd'hui.
Et puis ce matin, tu te réveilles avec un amer
goût de chagrin dans la bouche. Un goût de lendemain de cuite d’une soirée qui
a mal tourné. Un
goût de sang, de peur et de dégout qui te donne
envie de vomir en ce faux semblant de matin de Noël. Non aujourd’hui, ce n’est pas
Noël mais le 14 novembre, le lendemain d’un vendredi 13 qui aurait dû illustrer
avec délicatesse la journée de la gentillesse. Toute la journée du vendredi, tu
as vu des images douces, des phrases mielleuses défilées sur ton écran comme
pour te donner le cœur léger et l’envie d’aimer ton prochain un peu plus qu’hier et un peu moins que demain…
Tu ne peux pas t’empêcher de te demander si ces assaillants
se sont rendus compte de leur connerie : décider de toucher Paris en plein
cœur un vendredi 13, jusque-là il n’y a rien de bien original mais toucher
l’âme de Paris qui chante, qui danse et qui trinque à la vie le jour de la
journée de la gentillesse, c’est une bien belle connerie. Car contrairement à
ces images pleines de bons sentiments qui ne font de l’effet que quelques heures, ces assaillants ont marqué à jamais cette journée de la
gentillesse. Lui ont donné encore plus force, plus de poids, plus de sens.
Aujourd’hui, le réveil est lourd. Tu
regardes BFM en buvant ton café. Les informations tournent en boucle. Tu as
froid dans le dos et tu ne sais plus quoi penser. Tu réalises aussi que ce genre d'attaque représente finalement le quotidien cauchemardesque dans bien d'autres pays que le tien. Tu lis tous ces messages
d’amour qui défilent sur le net, tu vis ces récits de peur comme si tu y étais,
tu fais défiler ces mots de rage, tu observes ses dessins pleins d’amour qui
viennent contrecarrer les impacts de haine et les traces de sang. Tu vois cette chaleur humaine qui réchauffe les rues désertées, ces bougies qui prennent de l'avance sur le 8 décembre. Et tu comprends qu'il se passe vraiment quelque chose. Aujourd’hui, c’est le premier jour d’un pays qui
entre en guerre contre l’horreur, un pays où se poser à la terrasse d’un café ou
assister un concert devient l’enfer.
Puisque la journée de la gentillesse n’a pas porté ses
fruits hier, elle prendra tout son sens à partir d'aujourd'hui. Parce que tu te sens impuissante face aux drames qui
touchent ton pays, parce qu’à part mettre ta photo de profil sous le signe tricolore, faire une minute de silence, allumer des bougies, serrer encore plus fort ceux que tu aimes et faire tourner en boucle la télé comme pour ne pas oublier, comme pour ne pas passer à autre chose, tu as décidé de
vivre cette journée du 14 novembre comme si c’était Noel.
Aujourd’hui plus que jamais, tu as décidé de faire comme si de rien n’était. Pour faire un joli pied de nez à cette équipe de bras cassé. Alors même si
tu as le cœur en berne, tu as maintenu le programme que tu avais prévu avant
cette fausse journée de la gentillesse. Aujourd’hui, la culture, l’art et le
divertissement auront raison de ce règlement de compte sanglant. En arrivant
devant ce théâtre, tu n’as pourtant pas pu t’empêcher d’y penser. En donnant ton
ticket à l’ouvreuse de cette salle de spectacle, tu as réussi à lui sourire malgré ta gorge serrée. En apercevant le rideau qui se lève, tu n’a pas pu
t’empêcher de regarder par dessus ton épaule le fond de la salle comme pour te
rassurer.
Voilà à quoi ressemblera les prochaines jours de cet après 13 novembre, tu ne pourra pas t’empêcher d’y penser, d’avoir peur et de trembler. Tu ne pourra pas t’empêcher d’avoir envie de pleurer ces innocents pour qui la vie s’est arrêtée net bercée par le son du rock, des cliquetis de bière et des kalachnikovs. Mais aujourd'hui, tu te fais la promesse d'écouter battre ton coeur plus souvent, de rire encore un peu plus fort, d’applaudir de toutes tes forces, de pleurer chaudement, de dévorer au lieu de manger, de crier à pleins poumons, de fumer avec bonheur, de courir avec fureur en espérant ne plus jamais refaire le même cauchemar que tu as fait cette nuit noire du 13 novembre…
*Illustration bidouillée par la dessinatrice Lili.
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