Dernier jour.
Il faisait froid. Aux portes de
Lyon, les gouttes tâchetaient le pare-brise qui l'emmenait à son travail. Aujourd’hui,
même les bouchons et la grisaille ne la faisaient pas râler. Un
contrat à durée indéterminé qui était sur le point de se terminer en ce
dernier jour de février. Emmitouflée dans son manteau d'hiver, elle ne pouvait s'empêcher de repenser à ce trajet qu’elle avait si souvent emprunté, de
la chaleur humaine qu'elle avait trouvé au coin de la machine à café ces trois
dernières années. Cette chaleur humaine à qui elle allait faire ses adieux
autour de malheureux croissants, de pains à la praline et de quelques muffins à la myrtille qui
auraient plutôt le goût acide et saisissant d'un au-revoir définitif que d’une douce saveur
de confiture...
En décidant de quitter le moelleux siège de
son poste pour toujours, elle abandonnait son CDI, son salaire fixe, son Tupperware, son 9H-17h et des tickets restaurants par milliers. Elle quittait
toutes ses chances de nourrir facilement sa famille, elle quittait la douceur de journées bien confortables à digérer paisiblement derrière son PC sans avoir
peur de manquer. De temps, d’argent. Mais ici, elle avait eu aussi trop le temps de réfléchir en regardant les minutes s'écoulées sur l'écran. Elle savait qu’elle perdait beaucoup mais qu’importe, elle avait encore plus à
gagner à l’extérieur : la liberté. D'aimer son travail et de vivre de sa
passion. Le mot-clé de sa nouvelle quête.
En prenant le chemin de sa nouvelle vie, elle
n’avait pas encore réalisé qu’elle allait être confrontée à beaucoup d’avis, de nombreux jugements et de préjugés. Pas plus tard qu’en ce vendredi matin, à la cuisine collective. Les avis autour d’elle sont partagés : certains
l’envient, il y a dans leurs regards un peu d’envie mêlée à de la peur : « Je pourrai jamais, je n’oserai
jamais, tu es courageuse ». Elle retrouvait une liberté qu’elle avait perdu.
Depuis longtemps, pour le première fois, elle se sentait libre de ses choix et
ses actions. Elle ne voyait pas en quoi elle était courageuse. Au contraire,
pour elle, cette nouvelle vie qui s’offrait à elle pour les prochains mois,
c’était une chance, un cadeau de la vie.
Les enfants, excuse ou obstacle ? La
première constatation qu’elle avait pu faire de nombreuses fois c’est que les
enfants représentent pour beaucoup une excuse maladroite. En exprimant à la Direction, son choix de partir vers d’autres horizons, elle n'avait pourtant penser qu’à
elle. A ses envies, à ses pulsions d’écrire des lignes et des lignes, à ses
rêves d’écriture. A ses évasions au cœur des mots. Pourtant, malgré son engagement
et sa motivation, elle avait l’impression que certains voyaient en ce départ
organisé une fuite en avant pour se réfugier
dans sa vie familiale: « Ah elle va
nous manquer, elle nous quitte mais elle va aller s’occuper de sa petite
fille », « Elle a fait un choix de maman, sa famille est sa
priorité ». Pourquoi quand on vient d’avoir une petite fille et qu’on
quitte son poste de Cadre dans une entreprise privée à fort capitale pour se lancer à son compte, cela
signifie forcément que l’on part pour sa famille.
Pourquoi est-ce si compliqué de comprendre que certains ont besoin de quitter leur zone de confort pour s'offrir un nouveau shoot de bonheur ?
Pourquoi est-ce si compliqué de comprendre que certains ont besoin de quitter leur zone de confort pour s'offrir un nouveau shoot de bonheur ?
Il n’en était rien. Au contraire à la
naissance de son enfant, elle avait eu l’impression de ne plus avoir d’excuses.
Elle avait crée la vie. Elle s’était offert une famille. Un événement qui lui avait injecté à haute dose une impulsion puissante, une envie mordante de vivre passionnément
chaque jour pour son enfant certes mais surtout pour elle. Pour se promettre d'être une maman comme elle le pourra mais une maman heureuse, forte et épanouie dans ses choix.
Même si elle n’avait pas la force en ce
dernier jour de couper court aux compliments sur ces muffins à la myrtille pour
rétablir la vérité, elle ne pouvait s’empêcher au fond de penser qu’ici, dans
ces locaux aseptisés, personne ne l’avait comprise. Que dans ces bureaux gris à
la moquette usée et à la routine mortelle, elle avait failli y laisser sa peau. Face au vide et à l’ennui, elle avait voulu plus d’une fois fuir. Aujourd’hui, en
jetant à la poubelle des dizaines de vieux dossiers, en fermant la
porte les yeux mouillés de nostalgie sur trois années confortables d’une petite
vie bien rangée, elle n’avait pas l’impression de faire preuve de courage mais
plutôt d’avoir une chance inouïe.
Celle de quitter une prison dorée pour
repartir de zéro.
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