Bande de poids mouillés.

Déjà avant, tu ne les sentais pas. Tes mains se crispaient et tu serrais les dents dès que tu en croisais un. Déjà avant, tu les avais dans le collimateur : leur impressionnante carrure, leur regard en coin, leur démarche lourde et bruyante. Tout te donnait déjà envie de fuir en courant. 


Déjà avant, tu avais peur qu’en les croisant, ils te foutent dans le fossé. De jour comme de nuit, ils te foutaient la trouille. Tu regardais bien droit devant toi, l’air de rien mais en les dépassant, tu avais déjà la chair de poule. De peur qu’ils te veulent du mal, qu’ils te collent, qu’ils te forcent à te joindre, quitte à te prendre la rambarde de sécurité.

Aujourd’hui, ce sentiment peu rassurant est encore plus présent. Aujourd’hui encore plus qu’avant, tu as peur rien qu'en entendant le bruit de leur moteur. Tu ne peux pas t’empêcher de les croiser en ayant une boule coincée dans la gorge et des visions d’horreur à l’esprit. Tu les examines encore plus que d’habitude : leur taille, leur poids et leur couleur. Maintenant, tu observes discrètement le chauffeur du coin de l’œil. Tu penses à ce qui pourrait lui passer par la tête à lui aussi. Et tu te surprends à imaginer le pire. 

Aujourd’hui encore plus qu’hier, quand tu croises désormais un poids lourd perdu au millieu de l’A46, tu ne peux pas t’empêcher d’avoir les poils qui s’hérissent en pensant qu’un jour, un homme a monté les trois marches qu’il le séparait de son trône pour prendre en main son volant et le destin de dizaines de personnes. Un volant qui est devenu une arme massive, une hache humaine qui a traversé la baie des anges pour balayer tout sur son passage. Déjà avant, tu ne les aimais pas beaucoup ces énormes camions mais aujourd’hui, tu as une bonne raison : ces carcasses métalliques ont le pouvoir de tuer. 

Alors désormais, tu resteras bien sagement derrière eux sur la chaussée en attendant qu’ils quittent ton chemin. Tu resteras bien sagement derrière eux, les mains moites bien cramponnées à ton volant en ayant une pensée immense pour tous ces gens qui se sont fait balayés comme un vilain courant d’air, pour toutes ces familles qui sont aujourd’hui déchirées parce qu’elles ont simplement eu l’envie, un soir du mois de juillet, d’aller prendre l'air et de se promener à la nuit tombée pour admirer des lumières colorées pétaradées dans le ciel. Un ciel d’azur qu’elles ont rejoint plus vite que prévu.

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